- TOLÈDE
- TOLÈDETOLÈDETémoin privilégié de tout un développement de l’histoire d’Espagne, Tolède se présente également comme une prodigieuse œuvre d’art, façonnée suivant le rythme de son étonnant destin. Cette réussite provient d’abord d’un exceptionnel accord entre le site et l’architecture urbaine. Le Tage, qui la cerne sur trois côtés, lui a imposé ses limites. Sur un rude rocher, scié par une gorge profonde, c’est un entassement de maisons, de couvents et d’églises, dominé par la flèche de la cathédrale et la masse de l’alcázar et qui pousse des antennes vers le fleuve suivant le mouvement des pentes. La marche du temps s’est arrêtée, pour la ville, au XVIe siècle, de sorte que les mutilations, ailleurs imposées par les exigences de la vie moderne, lui ont été épargnées.Tout commença avec la réalisation de l’unité politique, juridique et religieuse de la péninsule Ibérique, effectuée par le roi goth Léovigilde (568-586) et son fils Reccarède (586-601). Tolède, devenue capitale du royaume wisigoth, se transforma en un foyer de culture dont l’influence rayonna sur toute l’Espagne. Les Omeyyades lui préfèrent Cordoue, mais, paradoxalement, alors que de la période wisigothique ne subsistent guère à Tolède que quelques rares fragments de décor sculpté, la première domination musulmane y a laissé au moins un monument, l’ancienne mosquée de Bîb Mardoûm, devenue après la reconquête chrétienne l’église del Cristo de la Luz (du Christ de la lumière). En dépit de remaniements postérieurs, l’édifice porte toujours la marque de l’art du califat.Au début du XIe siècle, Cordoue est saccagée et elle ne devait plus jamais retrouver sa splendeur. L’Espagne musulmane se dissout en un certain nombre de dominations provinciales, celles des reyes de taifas , les rois chefs de bandes, comme les appellent les auteurs espagnols. La dynastie de Tolède, bien que l’une des plus importantes, ne put se maintenir longtemps. En 1085, Alphonse VI de Castille s’empare de la cité et y agit en qualité d’emperador de las dos religiones , empereur des deux religions. Il entend ainsi réunir sous son autorité à la fois les musulmans et les chrétiens. En fait, Tolède va réaliser la synthèse de trois mondes: le chrétien, le mudéjar et le juif. Le facteur mudéjar se révèle décisif. La capitulation avait garanti aux musulmans leurs biens, leurs mosquées, leur statut personnel, l’usage de leur langue et leurs coutumes traditionnelles. Quant aux juifs, leur communauté nombreuse, active et influente donna naissance à une riche oligarchie. Dans une ville où de grandes bibliothèques arabes étaient demeurées intactes, on voit se développer une importante école de traducteurs juifs ou chrétiens, qui va restituer à l’Occident une partie de la science et de la philosophie grecques. Sur le plan artistique coexistent deux styles: le gothique et le mudéjar.La cathédrale est l’imposante manifestation de l’art gothique. C’est l’œuvre de l’archevêque Rodrigo Jiménez de Rada, qui en posa la première pierre en 1226. Le mudéjar, quant à lui, présente deux aspects bien distincts. Il existe une architecture populaire, de caractère artisanal, celle des églises paroissiales et des couvents, qui cultive, sous la forme d’une tradition figée, les techniques en usage chez les musulmans à l’époque de la Reconquête. Parallèlement se manifeste un art aristocratique, qui reflète l’évolution du grand art andalou. Ses deux plus belles réalisations sont deux anciennes synagogues: Santa María la Blanca (XIIIe s.), qui prit ce nom lorsqu’elle fut transformée en église, et le Tránsito, construit en 1367. L’union de la Castille et de l’Aragón dans la double monarchie des Rois Catholiques favorisa le premier de ces royaumes, stimulé par ailleurs par la conquête américaine, et elle assura l’essor de ses cités. Tolède, grande ville marchande, entendit jouer pleinement le rôle de capitale religieuse qui lui revenait de droit et celui de capitale politique, qu’elle n’avait cessé de revendiquer au Moyen Âge. De fait, le mécénat royal s’y exerce avec éclat jusqu’à Philippe II, cependant qu’une succession de puissants prélats — qu’il s’agisse du cardinal Mendoza, le grand cardinal d’Espagne, guerrier et humaniste; de Cisneros, franciscain ascétique, poussé au premier rang dans l’État (1495-1517); du cardinal Alonso de Fonseca (1524-1534) et du grand bâtisseur que fut le cardinal Tavera (1534-1545) — concourt activement à son embellissement.Le gothique tardif s’épanouit dans la chapelle funéraire du connétable Álvaro de Luna, au chevet de la cathédrale et surtout dans l’église de San Juan de los Reyes, le chef-d’œuvre de Juan Guas. Cette chapelle du couvent franciscain où Cisneros avait été novice était destinée à l’origine à recevoir la sépulture des Rois Catholiques. C’est ce qui explique la richesse du décor qui se déploie à l’intérieur, de même que dans le cloître voisin. Dans l’hôpital de Santa Cruz, fondé par Mendoza, et dont l’architecte des Rois Catholiques, Enrique Egas, fournit les plans, la Renaissance fait son apparition. Elle prend bien vite à Tolède une tonalité particulière, tout imprégnée d’influences mudéjares, à laquelle on a proposé d’attacher le nom de Cisneros. Le monument le mieux conservé en est la salle capitulaire de la cathédrale, œuvre de l’architecte du cardinal Pedro Gumiel, qui fut ornée de peintures murales par Juan de Borgoña entre 1508 et 1511. Un autre hôpital, celui de Saint-Jean-Baptiste ou de Afuera, «de l’extérieur», dû à la munificence de Tavera, et œuvre de l’architecte jésuite Bartolomé Bustamante, relève d’un art plus sévère. Cette renaissance classique marque davantage encore les constructions militaires, les portes de l’enceinte fortifiée refaites à cette époque, et surtout l’alcázar, forteresse et palais, reconstruit à partir de 1537 sur l’ordre même de Charles Quint. Ce monument représente la manifestation la plus achevée de l’art d’Alonso de Covarrubias, qui travaillait à Tolède depuis 1531 comme maestro mayor de la cathédrale (chapelle des Reyes Nuevos).Deux phénomènes aux conséquences catastrophiques entraînèrent la ruine de Tolède: l’installation de la cour à Madrid, qui lui retira son rôle politique, et l’expulsion des Morisques en 1609, qui la priva de ses artisans. L’inévitable déchéance fut cependant retardée par les dernières manifestations du mécénat ecclésiastique et surtout par la présence du Greco. Plus que tout autre, cet étonnant génie allait contribuer à faire de Tolède la ville musée qu’elle est devenue, tout en fixant avec ses pinceaux son visage d’éternité.Tolède(en esp. Toledo) v. d'Espagne, sur le Tage; 60 670 hab.; cap. de la communauté auton. de Castille-la Manche; ch.-l. de la prov. du m. nom. Manufacture d'armes.— Archevêché. Nombr. monuments mauresques: pont d'Alcántara (Xe s., remanié aux XIIe et XVe s.); Puerta del Sol (Porte du Soleil; XIVe s.). églises de style mudéjar. Cathédrale gothique (XIIIe-XVe s.). égl. et cloître de San Juan de los Reyes (goth. tardif). égl. gothique Santo Tomé. Hôpital Santa Cruz (XVIe s., auj. musée). Alcázar (forteresse construite au XIe s. et remaniée jusqu'au XVIIIe s., détruite au cours de la guerre civile, en 1936, et auj. restaurée). Maisons anciennes, notam. celle du Greco (XIVe s.).— Soumise par les Romains (192 av. J.-C.), la ville fut la cap. des Wisigoths. Les Omeyyades en firent un centre du cuir et de l'acier. Les chrétiens la reconquirent en 1085 et elle devint la cap. de la Castille. Elle déclina après l'expulsion des Maures et des Juifs, et Madrid la supplanta en 1561.
Encyclopédie Universelle. 2012.